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Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française - suite
Mais Monsieur Dantzig n’aime pas Roland Barthes, à qui il ne consacre pas d’article et dont il se débarrasse en six mots : « un lourd qui se croyait léger » (article Claudel, page 183). Évidemment, c’est un peu court, mais c’est la loi du genre, mal désigné dans le titre comme « égoïste », puisqu’il nous en fait profiter, mais bien plus radicalement subjectif, pétri de mauvaise foi, jubilant d’exécutions sommaires et d’enthousiasmes plus ou moins raisonnés, avec un goût irritant mais fort sympathique pour le rebrousse-poil, la défense des décriés, la réhabilitation des réputés has been et donc, symétriquement, la mise en pièce de quelques incontestables (Baudelaire, Céline, Yourcenar).
Au total, l’ensemble, ou en tout cas l’idée que tu peux t’en faire après en avoir lu, disons, un tiers, laisse l’impression d’un râleur, un peu réactionnaire, se donnant la liberté de juger et de revenir sur ses propres jugements. Plutôt qu’un réactionnaire au sens habituel et politique du mot, c’est plutôt un « antimoderne », un ronchonneur savant, qui se paye le culot de publier les minutes délicieuses de son Grand Tribunal Intime de la Littérature.
Tu y trouves de bien réjouissantes sentences, assénées avec une cruauté merveilleuse : le « bœuf Claudel », « antisémite, homophobe et grand chrétien, qui traite Proust de “vieille juive fardée” » et recherche « la vérité avec un acharnement de charrue qui doit lui venir de Péguy », lui qui, « jamais heureux mais toujours satisfait, (…) s’admire d’être convaincu et se propose de convaincre les autres » ; Yourcenar : « elle meuble ses livres en style XVIII°. Antithèses, douche de points-virgules, imparfaits du subjonctif appliqués, phrases de liaison et de commentaire où elle explique en style emphatique, latinismes périodes. (…) Ses romans sont froids comme une maison de campagne un vendredi soir de février. » ; Montherlant et Camus qui ont, chacun à sa manière, leur côté « scout » ; Simenon, « train de marchandises de la littérature » ; Rostand, « premier de la classe hystérique qui, ne sentant rien, monte au mélodrame » ; Colette, « vieille coquette du naturel façon Sévigné, fausse bonne, égorgeuse de poulets » ; Baudelaire décrit comme un fat, poseur, paresseux et imbu de lui-même.
Evidemment c'est méchant, souvent injuste et ça peut mettre en colère...
Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de la littérature française (2005) Grasset